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Lézards urbains et forestiers à Cuba : un nouvel éclairage sur leurs différences

Comment l’urbanisation affecte-t-elle les espèces ? À Cuba, le lézard Anolis homolechis est un modèle de choix pour une chercheuse et son équipe, qui explorent différentes hypothèses pour expliquer les divergences observées entre populations suburbaines et forestières. Une étude récente apporte un nouvel éclairage.

L’urbanisation transforme profondément les écosystèmes, bouleversant les conditions de vie de nombreuses espèces animales. Certaines disparaissent, d’autres persistent dans ce nouveau milieu, avec des modifications parfois notables de leur comportement, leur morphologie ou leur physiologie. C’est notamment le cas de certains lézards du genre Anolis, qui ont su coloniser les zones urbaines malgré les changements drastiques de leur environnement.

 

Un anole cubain sous surveillance scientifique

Annabelle Vidal travaillant sur le terrain

À Cuba, Anolis homolechis, une espèce de lézard endémique, est présent aussi bien dans les forêts que dans les zones suburbaines. Son adaptation à des environnements modifiés par l’homme en fait donc un excellent modèle d’étude pour comprendre les effets de l’urbanisation sur la faune sauvage.

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Annabelle Vidal a étudié cette espèce pendant plusieurs années afin de mieux comprendre les différences entre les populations vivant en milieu naturel et celles évoluant en milieu suburbain. Ses recherches, menées avec le soutien de Caribaea Initiative, ont déjà mis en évidence plusieurs différences notables entre ces populations.

 

Des lézards plus grands en ville : une tendance confirmée

Parmi les études menées sur Anolis homolechis, mais également sur d’autres espèces de lézards, un résultat revient régulièrement : les individus vivant en milieu urbain ont tendance à être plus grands que leurs homologues des forêts.

Les implants en élastomère fluorescent sont clairement visibles à travers la peau

Une des hypothèses avancées pour expliquer ces différences de taille est une variation du taux de survie entre les habitats : les plus gros individus auraient un avantage sélectif en milieu urbain, leur permettant de vivre plus longtemps et donc d’être plus représentés dans la population adulte. C’est cette hypothèse qui a été testée dans la dernière étude d’Annabelle Vidal et son équipe, récemment publiée dans la revue scientifique Biology.

Pendant 20 mois, des individus issus quatre sites d’étude, dont deux en forêt et deux en milieu suburbain, ont été capturés. Après avoir été mesurés et marqués à l’aide d’implants colorés fluorescents, permettant à Annabelle de reconnaitre chaque individu, ils ont été relâchés à l’endroit même de leur capture. En analysant les données de recapture, les chercheurs ont pu estimer le taux de survie apparents des individus (c’est-à-dire ne prenant pas en compte la migration des individus) en fonction de leur taille et de leur habitat.

 

Un lien entre taille et survie indépendant de l’habitat

Au cours de l’étude, 735 lézards adultes ont pu être capturés et marqués, parmi lesquels près de 18 % ont été recapturés au moins une fois.

L’analyse des données montre une meilleure survie des femelles par rapport aux mâles, un résultat qui n’est pas surprenant compte tenu du comportement territorial de ces derniers. Les mâles défendent en effet de larges territoires, les exposant davantage que les femelles aux blessures et à la prédation.

Au contraire, les données indiquent que le lien entre taille et survie, aussi bien chez les mâles que chez les femelles, était le même dans les deux habitats. Ce résultat, contredisant l’hypothèse testée, suggère que la plus grande taille des lézards urbains comparés à leurs homologues des forêts ne résulte pas d’une sélection différentielle liée à leur taille.

 

Une énigme encore à résoudre

© Sergio L. del Castillo

Si la survie ne joue pas un rôle clé dans cette différence de taille, quelles autres explications peuvent être envisagées ? Plusieurs pistes restent ouvertes. La sélection sexuelle pourrait être à l’œuvre si les mâles plus grands sont particulièrement avantagés dans les compétitions pour l’accès aux femelles en milieu urbain. D’autres facteurs tels que la disponibilité des ressources alimentaires, ou d’autres paramètres environnementaux, pourraient également jouer un rôle. Une étude récente a notamment montré, chez une espèce proche, que l’éclairage nocturne avait un impact sur la croissance des anoles.

Cette étude apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes influençant la morphologie des lézards urbains, mais le mystère demeure. D’autres recherches seront nécessaires pour identifier les facteurs à l’origine de ces différences et mieux comprendre comment les espèces s’adaptent aux environnements modifiés par l’homme, un enjeu majeur dans un monde de plus en plus urbanisé.

 

Référence

Vidal, A., Cézilly, F. & Pradel, R. (2024). Contemporary survival selection fails to explain observed patterns of phenotypic divergence between suburban and forest populations of the Cuban endemic lizard, Anolis homolechis. Biology 13: 1019.

 

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