Étude des oiseaux en Martinique : bilan prometteur après un an de projet

La gestion et la conservation des espèces d’intérêt cynégétique représentent un défi majeur. La première étape permettant des prises de décisions éclairées et impartiales repose sur l’acquisition de connaissances scientifiques rigoureuses sur l’écologie et la biologie de ces espèces, ainsi que sur l’état et la dynamique de leurs populations. En Martinique, le projet ESPACYPA répond à ce besoin crucial en se concentrant sur plusieurs espèces d’oiseaux dont les populations sont peu étudiées. Après un an de projet, l’heure est au bilan.

Il est six heures du matin lorsque Bryan Leborgne, en charge du projet en Martinique, entame la descente entre la Montagne Pelée et le Prêcheur. Après des dizaines de kilomètres avalés en voiture, c’est désormais à pied, avec plusieurs kilos de matériel sur le dos, qu’il part à l’assaut des derniers kilomètres qui le séparent de son objectif. Rencontre fortuite avec la faune sauvage, découverte inattendue des paysages luxuriants de la Martinique, chaque pas amène son lot d’émerveillement. Le long de son trajet défini avec soin, il vient placer de façon stratégique des appareils permettant d’étudier discrètement de nombreuses espèces de l’île, capturant des instants furtifs de la vie animale martiniquaise.

 

Déploiement massif d’appareils de télémétrie

Après avoir travaillé plusieurs mois en Guadeloupe sur le projet ESPACYPA (Espèces aviaires sédentaires et erratiques d’intérêt cynégétique et patrimonial dans les Petites Antilles), Bryan parcourt maintenant la Martinique dans son entièreté pour y installer des pièges photographiques et enregistreurs acoustiques. Ces deux technologies phares du projet, utilisées dans de nombreux autres projets de l’association, permettent d’étudier discrètement la faune sauvage martiniquaise, et tout particulièrement les six espèces sur lesquelles se concentre le projet : le Pigeon à couronne blanche (Patagioenas leucocephala), le Pigeon à cou rouge (P. squamosa), la Colombe à croissant (Geotrygon mystacea), la Colombe rouviolette (G. montana), le Moqueur corossol (Margarops fuscatus) et Moqueur grivotte (Allenia fusca).

Les deux appareils de télémétrie permettent une étude non invasive de la faune dans son habitat naturel, avec une perturbation minime de celle-ci comparés à d’autres méthodes de suivi, telles que les observations à la jumelle ou les captures. Une fois installés, les appareils permettent de collecter des données non sélectives : photos ou vidéos de tout animal passant devant la caméra, ou enregistrements audios des chants et bruits environnants. La quantité de données disponibles est donc tout aussi énorme que variée, avec la possibilité d’obtenir des informations sur la présence, l’abondance, les préférences écologiques (type de milieu, rythme journalier), ou encore le comportement de nombreuses espèces.

 

Les appareils installés sont très discrets. Disposés en pleine forêt à l’abri des regards, seule l’utilisation d’un GPS permet de les retrouver.

 

Les appareils ne sont pas déployés au hasard. Un total de 45 sites a été sélectionné sur l’ensemble de la Martinique, représentatifs des différents types d’habitats et de leurs proportions : forêts sèches, forêts humides, ou encore mangroves et forêts marécageuses. Sur chaque site, cinq pièges photographiques et trois enregistreurs acoustiques sont déployés et restent actifs 24h/24 pendant deux semaines avant d’être déplacés vers un nouveau site.

 

Analyse des prélèvements du Pigeon à cou rouge

Pigeon à cou rouge (Patagioenas squamosa) © Postdlf

En parallèle des techniques de télémétrie, d’autres méthodes ont été employées au cours de la première année du projet. Si aucun individu n’a été capturé dans le but d’être examiné, l’activité de chasse sur le territoire permet d’avoir un accès direct à de nombreux paramètres clés pour l’étude approfondie de ces espèces. Christopher Cambrone, coordinateur scientifique des projets de l’association, a pu renforcer les données d’une espèce particulière, le Pigeon à cou rouge (Patagioenas squamosa), grâce à des mesures effectuées sur les individus prélevés par les chasseurs. Cette collaboration avec les chasseurs locaux a permis de recueillir à la fois des données sur les caractéristiques morphologiques de l’espèce, mais également de procéder à des prélèvements génétiques. L’analyse de ces échantillons permettra d’apporter des précisions sur la structure d’âge, la sex-ratio, ou encore la diversité génétique de la population.

 

Une année, et déjà les premiers résultats

Obtenir des données qualitatives est un travail de long terme. Si le projet est prévu pour durer plusieurs années en Martinique, la première année porte déjà ses fruits en termes de résultats.

D’une part, un total de 300 individus, dont 115 adultes et 185 juvéniles, a pu être examiné lors de l’analyse des tableaux de chasse. Les mesures effectuées apportent des précisions morphologiques sur l’espèce. Du côté des méthodes de suivi à distance, les appareils ont été déployés dans une quarantaine de sites répartis sur l’ensemble de la Martinique, représentant un total de 200 points d’échantillonnage pour les pièges photographiques et 121 points pour les enregistreurs acoustiques. Cette importante couverture a permis de collecter à ce jour plus de 75 000 clichés ainsi que près de 7000 heures d’enregistrements audios.

 

Les pièges photographiques capturent de nombreuses espèces, y compris des espèces non ciblées par le projet comme ce Bihoreau violacé (Nyctanassa violacea).

 

Le projet se poursuit

Un an après avoir débuté, le projet ESPACYPA-Martinique a déjà permis d’importantes réalisations. Il devrait se poursuivre au cours des deux prochaines années, avec des objectifs variés. L’effort de déploiement des technologies de suivi à distance va se poursuivre sur le terrain, permettant d’avoir une vision plus complète des espèces étudiées. Un effort conséquent est désormais mis dans l’analyse des données, déjà débutée par Bryan, qui se base notamment sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour analyser l’énorme quantité de fichiers récoltés, aussi bien photographiques qu’audios, ainsi que sur des outils statistiques spécifiques.

Christopher Cambrone manipule un pigeon muni d’une fausse balise GPS.

Des techniques nouvelles devraient également être mises en place au cours des prochains mois. L’utilisation de balises GPS est notamment prévue pour suivre plusieurs individus de Pigeons à cou rouge et de Pigeons à couronne blanche. Cependant, installer de tels dispositifs sur des animaux peut entraîner des modifications comportementales. Des expériences préliminaires en volière ont déjà permis d’appréhender la réaction de plusieurs individus à la manipulation et à l’installation de fausses balises sur leur dos. L’évaluation comportementale de l’impact des dispositifs sur les oiseaux sera complétée, cette fois à l’aide de caméras de surveillance installées dans la volière, afin de perfectionner le protocole permettant d’utiliser la méthodologie en milieu naturel.

Enfin, une part importante du travail sera dédié à la valorisation des résultats. Les études se faisant sur le long terme, l’écriture d’articles scientifiques est prévue dans les dernières phases du projet. En attendant, les résultats préliminaires ont été présentés à nos partenaires lors d’une réunion le 25 septembre 2024. Cette rencontre a également permis de renforcer nos collaborations et de planifier la suite du projet. L’objectif à long terme reste inchangé : acquérir des données précises pour améliorer la gestion des espèces d’oiseaux étudiées.

 

 

Le projet ESPACYPA-Martinique est co-financé par la Fédération Départementale des Chasseurs de Martinique et la DEAL Martinique.