La grive à pieds jaunes, de son nom scientifique Turdus lherminieri, est un oiseau endémique des Petites Antilles. Cette espèce forestière au plumage distinctif et au chant mélodieux se nourrit au sol, en fouillant la litière avec son bec pour y dénicher des insectes et d’autres invertébrés. Déjà rare, car seulement présente sur quatre îles de l’arc antillais, l’espèce est aujourd’hui potentiellement menacée par la déforestation, l’introduction d’espèces exotiques, ou la chasse.
Une étude, tout récemment publiée dans la revue internationale European Journal of Wildlife Research, s’est penchée sur les facteurs qui expliquent les variations dans la présence et l’abondance de la Grive à pieds jaunes dans les forêts de Guadeloupe. A cette fin, des pièges photographiques ont été déployés dans 24 sites, répartis sur les deux ailes de l’île papillon, Basse-Terre et Grande-Terre. Ces instruments, disposés à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol, ont l’avantage de se déclencher de manière automatique lorsqu’un animal passe devant l’objectif. Fonctionnant de jour comme de nuit, ils permettent d’observer la faune sauvage sur des semaines complètes sans la déranger.
Au total, près de 10 000 photos ont été prises, dont 330 concernent l’espèce étudiée. A l’aide d’analyses statistiques, les auteurs de l’étude ont pu évaluer les schémas d’occupation et d’abondance de la Grive à pieds jaunes dans différentes zones forestières de Guadeloupe, en prenant en compte diverses variables environnementales : le type de forêt, le degré d’ouverture de la canopée, la température, ou encore l’altitude.
L’étude a révélé une nette préférence de l’espèce pour la forêt ombrophile, avec une présence et une abondance bien plus importantes qu’en forêt sèche ou en forêt côtière. La probabilité d’observer l’espèce augmente avec le degré de fermeture de la canopée, tandis que son abondance diminue avec l’augmentation de la température ambiante. L’espèce semble donc privilégier les sous-bois frais et ombragés pour y chercher sa nourriture.
Grâce aux données recueillies en continu avec les pièges photographiques, les auteurs ont aussi pu estimer le degré de chevauchement entre la distribution des grives dans l’espace et le temps et celle de leurs prédateurs potentiels. Il en ressort que les grives et les chats errants se retrouvent rarement aux mêmes endroits, sans qu’il soit possible de savoir à ce stade quelle en est la raison. Il se pourrait qu’à la fois les grives évitent les endroits où abondent les chats errants et que les chats réduisent localement l’effectif des grives via la prédation. D’autres études sur le régime alimentaire des chats errants sont donc nécessaires pour évaluer à sa juste mesure la menace que pourraient constituer les chats errants.
Comprendre les facteurs influençant l’occupation spatiale et l’abondance de la Grive à pieds jaunes en Guadeloupe peut aider à élaborer des stratégies de conservation efficaces pour protéger l’espèce face aux menaces continues qui pèsent sur son habitat. A l’heure actuelle, si l’espèce est considérée comme quasi-menacée par l’IUCN, la présente étude indique que les populations de Guadeloupe se portent plutôt bien. Un résultat positif qui pourrait être lié à la régulation de la chasse, mise en place en 2014, mais aussi à la protection presque totale dont bénéficient les forêts tropicales humides de Guadeloupe.
Référence
Jean-Pierre, A., Loranger-Merciris, G., Saint-Louis, L.J. & Cézilly, F. (2023). Factors affecting spatial occupancy and local abundance of the Forest Thrush, Turdus lherminieri, in Guadeloupe forests. European Journal of Wildlife Research 69: 76.
A propos de l’auteur
Aurélie Jean-Pierre est inscrite en doctorat à l’Université des Antilles (Guadeloupe), sous la direction du Professeur Gladys Loranger-Merciris. Ses recherches sur l’impact des facteurs environnementaux sur la présence et l’abondance relative de plusieurs espèces d’oiseaux gibiers sont cofinancées par le ministère de l’Enseignement Supérieur, l’ONG Caribaea Initiative et l’Office Français de la Biodiversité (OFB).