Dans le paysage toujours changeant de l’urbanisation, l’impact sur la biodiversité locale est un sujet de préoccupation croissante. Alors que de nombreuses espèces sont confrontées à des défis pour s’adapter aux environnements urbains, certaines parviennent cependant à y prospérer. Une récente étude s’est penchée sur le cas d’un lézard endémique de Cuba.
L’urbanisation croissante est connue pour entraîner des conséquences négatives directes sur la biodiversité. Les espèces parvenant à survivre en milieu urbain sont majoritairement généralistes, et ces milieux favorisent également les espèces exotiques envahissantes. Cependant, certaines espèces natives parviennent à exister dans ces milieux aux contraintes variées. A Cuba, c’est le cas du petit lézard Anolis homolechis, endémique de l’archipel, qui est retrouvé à la fois dans des habitats forestiers et aux alentours des habitats urbains.
Au cours de son doctorat, Annabelle Vidal a étudié cette espèce avec la plus grande attention. En comparant des lézards adultes dans des zones suburbaines et des zones forestières, elle a notamment mis en évidence des différences de comportement (lire l’article), ainsi que des différences morphologies (lire l’article), qui pourraient être liées à certaines contraintes du milieu, notamment une pression de prédation ou une disponibilité des ressources différentes, ou encore des variations de température.
Dans un article tout juste publié, Annabelle Vidal explore cette fois les conséquences de l’urbanisation sur la structure d’âge des populations de l’espèce, en s’intéressant autant aux juvéniles qu’aux adultes. L’intérêt ? Mieux comprendre l’impact de l’urbanisation sur le succès démographique et la dynamique des populations des espèces natives.
La méthodologie est similaire à celle de ses précédentes études. Pendant 20 mois, plus d’un millier d’individus de deux sites forestiers et deux sites suburbains ont été capturés, mesurés, et marqués à l’aide de petits tags colorés, permettant de les reconnaitre individuellement à la prochaine capture. De plus, les femelles ont été examinées pour déterminer si elles étaient gravides (c’est-à-dire sur le point de pondre des œufs) ou non.
Découverte majeure, l’étude révèle que la proportion de juvéniles en habitat suburbain est quatre fois plus faible que celle mesurée en habitat naturel. Cependant, et contrairement à ce qui était attendu, l’étude n’a pas mis en évidence de différence de fécondité des femelles selon le type de site. La plus faible proportion de juvéniles à proximité des villes ne serait donc pas liée à une moindre capacité reproductive des femelles, mais s’expliquerait par d’autres facteurs.
Un indice réside dans le taux d’autotomie de la queue, un comportement anti-prédateur consistant, pour les lézards, à se séparer d’une partie de la queue lorsqu’ils sont attaqués par un prédateur, afin de créer une diversion suffisante pour pouvoir s’échapper. Chez les juvéniles étudiés, ce phénomène a été bien plus souvent observé dans les milieux suburbains que dans les milieux forestiers, un résultat déjà mis en évidence chez les adultes (lire l’article). De plus, contrairement à ce qui était attendu, ce taux d’autotomie était négativement corrélé à la taille des juvéniles : plus ceux-ci étaient grands, plus l’autotomie était rare. Selon les auteurs de l’article, ce résultat pourrait s’expliquer par une prédation accrue en milieu suburbain par des prédateurs de petite taille. En particulier, il pourrait refléter un taux de cannibalisme plus important sur les juvéniles en milieu suburbain, à la fois par des individus de la même espèce et par des individus d’autres espèces de lézards anoles.
En dehors de la prédation, la plus faible proportion de juvéniles en milieu urbain pourrait trouver d’autres explications, détaillées par les auteurs de l’article. Les températures plus hautes en milieu urbains pourraient notamment entraîner une mortalité des œufs plus importante. La transmission de pathogènes entre les individus pourrait également être renforcée par l’urbanisation.
Cette nouvelle étude fournit ainsi des informations précieuses sur la manière dont Anolis homolechis s’adapte aux défis posés par les milieux urbains. La modification de la structure d’âge observée (proportion de juvéniles) est susceptible d’avoir de nombreuses implications, notamment en termes de dynamique et de stabilité des populations. L’étude de ces paramètres chez d’autres espèces pourrait contribuer à une meilleure compréhension de la capacité des espèces natives à persister dans les zones urbanisées.
A propos de l’auteure
Annabelle Vidal a soutenu en 2022 une thèse de doctorat consacrée à l’adaptation des lézards anoles à l’environnement urbain, avec le soutien de Caribaea Initiative. Spécialiste des méthodes de suivi des anoles, elle a ensuite participé au projet MERCI dédié aux reptiles exotiques envahissants, notamment en initiant des programmes de recherche sur les anoles dans d’autres territoires. Toujours impliquée dans la vie de l’association, Annabelle vit actuellement à Cuba où elle poursuit ses recherches au sein de l’Institut d’Ecologie et Systématique.
Référence
Vidal, A. & Cézilly, F. (2024). What causes differences in the age-class structure between suburban and forest populations of Anolis homolechis? Diversity 16: 35. https://doi.org/10.3390/d16010035