Savoir détecter de manière fiable les oiseaux dans leur environnement permet d’estimer leur abondance, de préciser leur répartition géographique et leurs préférences en termes d’habitat, ou encore de mieux déterminer les mesures de protection devant être mises en place. Si plusieurs méthodes existent, toutes ne se valent pas, ainsi que le démontre une nouvelle étude au cours de laquelle la présence et l’abondance de deux espèces de pigeons sauvages d’intérêt patrimonial et cynégétique ont été estimées en Guadeloupe.
Le Pigeon à couronne blanche (Patagioenas leucocephala) et le Pigeon à cou rouge (Patagioenas squamosa) sont deux espèces endémiques de la Caraïbe menacées par la dégradation de leur habitat naturel et la pression de chasse en différents points de leurs aires de distribution. L’incertitude sur la taille des effectifs et les tendances démographiques ont conduit en Guadeloupe, en vertu d’un principe de précaution, à suspendre la chasse pour la première espèce et à limiter les prélèvements pour la seconde, provoquant la colère des chasseurs locaux. Toutefois, en dépit de leur forte valeur cynégétique et patrimoniales, les données de référence sur l’abondance de ces deux espèces font cruellement défaut. Pour obtenir de telles données, différentes méthodes de comptage existent, mais leur fiabilité relative n’avait pas été jusqu’à présent estimée. D’où l’intérêt de l’étude réalisée par Christopher Cambrone, étudiant en thèse de doctorat à l’Université des Antilles soutenu par l’ONG caribéenne Caribaea Initiative, et tout récemment publiée dans la revue European Journal of Wildlife Research.
Christopher Cambrone a comparé l’efficacité de la méthode dite « passive », qui consiste à observer visuellement ou à repérer grâce à leurs vocalisations la présence des deux espèces le long de parcours pédestres en milieu naturel, et la méthode dite « de la repasse ». Celle-ci consiste simplement à ajouter à la précédente la diffusion du chant de chaque espèce, avec l’idée que les pigeons éventuellement présents aux alentours seront attirés et se rapprocheront de l’observateur ou répondront en vocalisant à leur tour.
L’étude a été conduite en Guadeloupe pendant deux années consécutives sur un total de 17 sites situés dans différents types de milieux a priori propices. Et les résultats sont sans appel. La méthode de la repasse a démonté sa plus grande efficacité, notamment en évitant le problème de « fausse absence » et en augmentant la probabilité de détection des individus. Ainsi, dans plusieurs sites, la méthode de la repasse a permis de détecter la présence du Pigeon à couronne blanche là où la méthode passive avait échoué à la faire. L’étude a aussi montré que la méthode passive tend à sous-estimer l’abondance relative des deux espèces. Au final, la méthode de la repasse s’avère particulièrement efficace pour des oiseaux présents en faible nombre dans des milieux fermés où l’observation directe est compliquée, comme les forêts denses. Les résultats de l’étude ont aussi permis de mieux comprendre la répartition des deux espèces, et notamment leurs préférences contrastées en termes d’habitat. Tandis que le Pigeon à couronne blanche, bien que plus rare, a été détecté dans des environnements variés (forêt sèche, mangrove, milieux marécageux, etc.), le Pigeon à cou rouge, relativement plus abondant, a été exclusivement détecté dans les forêts tropicales humides.
Dans un contexte quelque peu tendu où, en Guadeloupe comme ailleurs, les intérêts des protecteurs de la nature s’opposent frontalement à ceux des chasseurs, cette étude démontre l’importance de disposer de données fiables, récoltées au travers de protocoles rigoureusement éprouvés, et publiées en toute transparence. Elle démontre une nouvelle fois l’importance d’adopter une approche scientifique pour la gestion des espèces de gibier, indépendamment des intérêts conflictuels des parties prenantes subjectives.
A propos de l’auteur
Christopher Cambrone termine actuellement son doctorat à l’Université des Antilles, sous l’encadrement de Pr. Frank Cézilly et Dr. Etienne Bezault, au sein de l’Unité mixte de recherche BOREA. Sa thèse a pour thématiques la biologie et la génétique des populations de deux espèces de pigeons présentes dans les Caraïbes : le pigeon à couronne blanche, Patagioenas leucocephala, et le pigeon à cou rouge, P. Squamosa. Ces recherches et sa thèse sont co-financées par Caribaea initiative.
Christopher a obtenu sa licence de biologie et son master spécialisé en écologie comportementale à l’Université de Bourgogne Franche-Comté (Dijon) en terminant major de sa promotion. Il est l’un des premiers étudiants à être entré dans le programme Caribaea Initiative, dès sa première année de master, durant laquelle il a initié ses travaux de recherche sur le pigeon à couronne blanche et le pigeon à cou rouge.
Référence
Cambrone, C., Bezault, E. & Cézilly, F. (2021) Efficiency of the call‑broadcast method for detecting two Caribbean‑endemic columbid game species. European Journal of Wildlife Research 67:65. https://doi.org/10.1007/s10344-021-01507-0